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De la plante au médicament

Comment le protocole de Nagoya prétend changer le rapport de force 
entre les pays du sud, riches en biodiversité, et les pays du nord,
dont l'industrie phrarmaceutique tire profit.


De l’aspirine aux anticancéreux, le monde végétal a apporté à l’industrie pharmaceutique la matière première à la fabrication d’une grande partie de ses médicaments. Derrière ce juteux marché se dessine pourtant un déséquilibre géographique : d’un côté, la biodiversité à la source des substances actives se concentre dans les pays du Sud ; de l’autre, les centres de recherches et laboratoires pharmaceutiques se situent plutôt dans ceux du Nord. Gardiens de la biodiversité contre gardiens des technologies : c’est du moins avec cette représentation du monde qu’a été adopté, en 2010, le protocole de Nagoya
Cet accord international, qui encadre l’accès aux ressources naturelles et le partage de ses bénéfices, entre en vigueur, , après avoir été ratifié par plus de cinquante Etats et par l’Union européenne – en l’absence notable des Etats-Unis. La France attend pour l’entériner l’adoption de son projet de loi sur la biodiversité, qui doit poser les bases du dispositif national, après les débats parlementaires prévus cet automne.

Que dit le protocole de Nagoya ? Il s’applique aux « ressources génétiques » – de la plante à l’extrait ou à la molécule qui en sont directement issus –, mais aussi aux savoirs locaux qui leur sont associés – en l’occurrence ceux de la médecine traditionnelle. L’accès à ces ressources doit désormais faire l’objet d’un contrat garantissant le consentement éclairé du fournisseur, et d’un accord internationalement reconnu, qui prévoit le partage « juste et équitable » des avantages si elles aboutissent à un produit mis sur le marché.

Ce cadre commercial est l’un des trois grands objectifs, aux côtés de la conservation et de l’usage durable de la biodiversité, posés par la Convention sur la diversité biologique lors de son adoption en 1992, au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro. A cette époque, le marché de la biodiversité fait miroiter aux pays du Sud de formidables retombées grâce à l’essor des biotechnologies, notamment dans le domaine pharmaceutique – à condition de se prémunir de la biopiraterie. « En parallèle, les mouvements autochtones se développent et trouvent dans ces négociations une rare occasion de faire entendre leur voix », explique Catherine Aubertin, chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Vingt ans plus tard, le protocole de Nagoya peut-il encore tenir ses promesses ? Pour le savoir, passage en revue de l’industrie des médicaments à base de plantes.

Un protocole de Nagoya anticipé… ou inadapté

Derrière toutes ces campagnes de bioprospection et ces efforts de recherche, les plantes miracles ont-elles engendré les retombées tant espérées dans leurs contrées d’origine ? A ce sujet, certains, comme le laboratoire Pierre Fabre ou l’ICSN, se targuent en tout cas d’avoir anticipé le protocole de Nagoya. Le premier a notamment contribué à la reconstruction de la faculté de pharmacie du Cambodge, du Laos et du Togo, d’après Bruno David, et « apporte un complément de revenu à quelque 3 000 familles grâce à la cueillette de la pervenche dans le sud de Madagascar ». Le second a passé des accords « au plus haut niveau » avec les organismes de recherche des pays fournisseurs, et troque des plantes contre des formations d’étudiants et des collaborations scientifiques. « Tout est prévu en cas de retombées de brevet », affirme Marc Litaudon.
Dans de rares cas, la bioprospection a même valu quelques retombées sonnantes et trébuchantes. L’exemple le plus marquant reste le contrat passé en 1991 entre le laboratoire Merck et l’Institut national de la biodiversité du Costa Rica : un million de dollars par an en échange de la fourniture de milliers d’échantillons biologiques, selon une publication de l’IRD (Les marchés de la biodiversité, 2008). Ce qui lui a valu d’être accusé par des ONG de vendre à bas prix la biodiversité costaricaine - malgré l’absence de résultats pour Merck.
Au-delà de ces quelques exemples, force est de constater que les milliards espérés par les pays riches en biodiversité se font toujours attendre. Le protocole de Nagoya changera-t-il la donne ? Pas certain, tant il se révèle, dans bien des cas, inadapté aux pratiques actuelles de l’industrie pharmaceutique. Ainsi, il ne s’applique pas aux molécules naturelles modifiées ou intégralement imitées par la chimie, qui constituent presque 40 % des nouvelles substances introduites sur le marché américain entre 1981 et 2006 – contre 4 % de médicaments contenant directement l’extrait ou la molécule naturelle, seuls concernés par le texte.

Parmi ces extraits de plantes, combien proviennent aussi de pays du Sud ? Beaucoup de laboratoires comptent désormais sur des collections végétales « à domicile » déjà bien étoffées par des décennies de collecte. « Le parc botanique de Kew gardens, en Angleterre, compte quelque 30 000 espèces, pourquoi aller chercher ailleurs ? », fait remarquer Marc Litaudon. Or le protocole de Nagoya ne prévoit pas d’application rétroactive pour les plantes récoltées avant son entrée en vigueur.
Enfin, l’image d’un guérisseur aiguillant la recherche pharmaceutique grâce à ses fameux « savoirs locaux », chers au protocole, semble une fois encore bien éloigné de la pratique. Certes, les effets des plantes utilisées dans la médecine traditionnelle sont confirmés dans trois quarts des cas par les ethnopharmacologues, d’après Jacques Fleurentin. Et certains laboratoires s’y sont intéressés de près, comme Shaman pharmaceuticals – qui a depuis fait faillite. Mais en l’absence de retours sur investissement, l’industrie pharmaceutique s’en est rapidement détournée.
Peut-être parce que les laboratoires voulaient, justement, éviter toute insécurité juridique autour d’éventuels droits de propriété intellectuelle que pourraient revendiquer les communautés utilisant ces plantes. Mais aussi parce que ces connaissances ne sont pas forcément adaptées à leurs besoins. Il n’est pas certain qu’elles présentent un net avantage par rapport aux nombreuses substances déjà sur le marché, surtout pour les pathologies qui suscitent le plus d’efforts de recherche, comme le cancer. Pas évident, non plus, que les préparations des guérisseurs soient facilement commercialisables : il s’agit souvent d’un mélange de plantes fraîches, ou de plantes dont plusieurs molécules agissent en convergence. Tout l’inverse de ce que cherche l’industrie 
pharmaceutique : une molécule unique, isolable et brevetable

Les plantes, à la source de l’industrie pharmaceutique

La morphine, principal remède contre la douleur, est extraite du pavot ; la quinine, utilisée comme antipaludique, provient des quinquinas ; l’aspirine, elle, trouve son origine dans le saule blanc ou la reine-des-prés. « L’industrie pharmaceutique naît au XIXe siècle à partir des plantes, relève Jacques Fleurentin, président de la Société française d’ethnopharmacologie. Il y a d’un côté les plantes médicinales, qui forment déjà le fonds de toute la médecine traditionnelle, et de l’autre, les plantes toxiques, qui intéressent tout particulièrement la chimie. La digitale, par exemple, est un poison pour le cœur, mais isolée chimiquement et à très faible dose, sa substance active peut aussi le soigner : de cardiotoxique, elle devient alors cardiotonique. »



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